Arts.

Le sculpteur allemand Konrad Loder investit avec subtilité Notre-Dame-de-Quincy en Bourgogne.
L'abbaye ne fait pas le moine
Par Hervé GAUVILLE

vendredi 06 août 2004 (Liberation - 06:00)
(envoyé spécial à Commissey)
1344
Exposition de sculptures de Konrad Loder à l'abbaye Notre-Dame-de- Quincy, Commissey (Yonne).
Tél. : 03 86 75 76 33.
Jusqu'au 18 octobre.
près le terrain de golf et la forêt, la route devient chemin pour déboucher sur une propriété mollement protégée par une chaîne qui pendouille au portail. Il faut agiter la cloche pour se faire ouvrir ¹ ou enjamber l'obstacle en cas d'impatience. Se dégage alors un charme qui tient à pas grand-chose. Une allée de gravier, un terre-plein herbeux flanqué d'une stèle qui fait office de bornage, une façade trouée de hautes fenêtres désertées et d'immenses marronniers cerclés de siècles innombrables.
Papier chocolat. Plus loin, une entrée cochère a oublié les carrosses ou les fiacres qui l'ont autrefois franchie, mais ne loupe pas le coche de son rendez-vous avec Konrad Loder, artiste munichois débarqué à Paris en 1988, à l'âge de 31 ans. Il a enveloppé l'un des pignons de la porte avec du papier chocolat qui brille au soleil et froisse les conventions. Ici gît ou survit une remarquable abbaye cistercienne du XIIe siècle, c'est-à-dire période de la réforme de saint Bernard.
De la communauté monastique subsistent une hôtellerie, le logis abbatial et quelques bâtiments claustraux. Ils sont si beaux, ces restes bénédictins, que le pari d'y glisser des oeuvres d'art paraissait a priori plutôt risqué. Ce n'est pourtant pas la première fois que le centre d'art de l'Yonne se livre à cette expérience. L'an dernier, un autre sculpteur, Vincent Barré, se colletait au lieu.
Loder n'a pas uniquement conçu une exposition sur mesure pour l'abbaye. Il a disposé dans la cour un certain nombre de ses sculptures, dont l'aspect rural, qui n'apparaît pas au premier coup d'oeil, est exalté par le lieu. Bois et fer prennent ainsi une petite allure aratoire. Dans l'embrasure de deux hautes fenêtres, il a disposé, dans la première, une sorte de gong silencieux qui résonne d'un appel muet à la méditation et, dans la seconde, une structure croisée qui évoque une grille monumentale, refermée sur les secrets du bâtiment en réfection.
Une autre pièce concourt à renforcer l'impression de rencontre entre aujourd'hui et hier. Il s'agit d'un panneau circulaire à rabattant, posé à même le rez-de-chaussée de la tour. On dirait le couvercle d'un puits ou, plutôt, vu l'endroit, d'une oubliette tellement oubliée que, soulevé, il découvre, non une béance abyssale, mais, ironiquement, un sol dallé sans faille.
L'artiste s'est amusé aussi à «oublier» un petit vélo à guidon chromé au fin fond du jardin. Dans le même registre, l'un des murs du réfectoire s'est brusquement assombri sous l'effet d'un nappage en chocolat qui sollicite l'odorat et excite la gourmandise.
Voûte fragile. Mais la principale trouvaille, il l'appelle son «cheval de Troie». Comme son prédécesseur grec, il s'est introduit par ruse, d'abord sous forme d'un dessin, ensuite, sous celle d'une ossature en poutres faisant office de soutènement pour une voûte qui a tout l'air, de la sorte, d'être menacée d'effondrement.
La réussite de l'ensemble tient à cet équilibre entre l'introduction d'éléments hétérogènes à l'architecture cistercienne et l'utilisation des ressources de cette même architecture à des fins de détournement ou de mise en valeur. Quant au mystère du titre, 1344, il s'éclaircit facilement dès lors qu'on apprend que c'est la date de la charte de Jeanne de Chalon établissant le bornage de l'abbaye. 660 ans avant Loder.

 

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