Ce qui les ebahit par-dessus tout, c/est que la terre, comme element, n'existe pas, Bouvard et pecuchet, Gustave Flaubert.


•Konrad Loder utilise un vocabulaire d'objets simples, que chacun reconnalt du premier coup d'ceil. Un enfant apprenant a parler pourrait faire le tour de l'exposition de ces sculptures et, sans trop hesiter, les 'designer: la, une porte ; ici, une bolte ; plus loin, des chaises, des ceufs, une armoire, un tabouret. . ., un peu a la maniere des deux comperes de Flaubert, lorsqu'ils decouvrent leur havre chavignollais et qu'ils ne peuvent repousser au lendemain une visite a leur jardin alors qu'il est minuit ; le long des plates-bandes, ils avaient plaisir ii nommer tout haut les legumes: I'Tiens : des carottes! Ah! des choux. I,. La, ou Bouvard et pecuchet sont avides de s'enivrer d'une campagne tant revee ; face aux sculptures de Konrad Loder, nous nous laissons seduire par une impression similaire de deja-vu.


•Cette premiere observation, nous permet d'avancer que Konrad Loder est un sculpteur qui s'inscrit dans la tradition. La phrase peut choquer : tradition, quel vilain mot! Sans doute faut-il preciser notre proposition qui fait reference a une sorte de taxinomie de faits sociaux reconnus par un groupe - une chaise est une chaise, un chou est un chou - bien avant d'en appeler a la tradition en art. Disons egalement que cette affirmation aussi anodine que peremptoire se propose d'etre un garde-fou a une tentation toujours tres grande dans le domaine du commentaire sur l'art qui consiste a trouver coute que coute une paternite au travail de l'artiste et, le plus souvent, a s'en tenir la. Cette facilite ou ce tic flatte rarement ceux qui en font les frais - peres comme fils presumes. Ce genre de manipulation aurait plutot pour effet de reduire l'c£uvre, voit:e de la rend re totalement inintelligible. Pour s'en convaincre, il suffit d'entendre la parole d'un autre sculpteur que l'on voulait ranger un peu vite dans le camp du Minimal Art: Les concepts de Minimal Art et de Process Art sont des tiroirs commodes dans les pharmacies d 'art des critiques d'art. Les comprimes Andre, Judd et Serra, je les ai avales et digeres. Le souvenir de leur effet est bon. . . (Ulrich Ruckriem). Cependant, il ne faudrait pas conclure que le terme de tradition est ici employe dans le simple but d'agrandir le cercle d'acceptation du travail de Konrad Loder. II est encore moins a prendre dans le sens d'un attachement au passe pour se garder d'un present catastrophique et d'un avenir impensable. Cette notion de tradition, en tant que realite positive, doit s'entendre comme une sorte de clin d'c£il que l'on retrouve dans les sculptures de Konrad Loder, ne serait-ce que par le rapport qu'elles entretiennent avec notre quotidien, ou encore dans l'emploi de materiaux seculaires tels que le bois et le platre. Elle est egalement une maniere de commencement qui n'en est pas un et qui n'en finit pas de commencer, un questionnement, de la pratique artistique plus que des questions sur l'Art, par exemple, auquel Konrad Loder repond par le jeu. Donner a reconnaltre ainsi, c'est deja inviter a faire un pas vers, c'est deja proposer une ouverture qui est egalement une breche, une fêlure.
•Aussi, il serait trompeur de se fier uniquement a cette ressemblance. Lorsque, a la lumiere de la chandelle, Bouvard et pecuchet font leur tour du proprietaire, ne serait-ce pas uniquement l'euphorie qui leur fait decouvrir des choux la ou, en fait, ils ne peuvent percevoir que des ombres, comme le signale Flaubert un peu plus loin ? Meme constat avec Konrad Loder : la chaise que nous enregistrions au depart, n'a plus rien d'equivalent maintenant. Elle n'est plus que l'echo de cet enregistrement. Elle n'est pas ce que nous avions cru percevoir en elle. L'objet cornu, torture, fait de decoupages et de raboutages, sur lequel nous tournons, part dans tous les sens. La chaise prend alors une dimension organique. Cette metamorphose est encore plus pregnante avec l'armoire debitee en tranches dans le sens de sa profondeur, nous faisant ainsi prendre conscience du volume evacue. Le tabouret, lui, mis au carre par l'operation de la scie nous montre de maniere exemplaire le processus de l'artiste decline selon une methode qui rappelle celle de la copie chere a Flaubert. L'objet est decoupe, deconstruit de maniere mathematique. Chaque morceau est repertorie en vue d'un nouvel assemblage, qui n'est que la replique du meme, son reflet ou sa resonance dans le champ de l'art. L'ecart ainsi produit entre le point de depart et le resultat obtenu, entre l'objet usuel et la sculpture, appelle des idees contraires qui pourraient se situer, par exemple, entre la faute de frappe qui nous fait comprendre un texte de travers (comme on dit) et l'encyclopedie menagere passee au crible d'une activite sans importance apparente.
•Ainsi, entre le coupe/ colle de Konrad Loder et, par exemple, la technique du meme nom qui est a la base de la fortune du Macintosh, cet ordinateur domestique qu'un ecolier est capable de maltriser et qui a compose ce texte, il n'y a qu'une variation due essentiellement a notre besoin de tout recomposer, de tout assimiler, de tout digerer, bien que nous sachions que c'est un gouffre. Reste une solution: zapper, pour nous donner l'illusion de tout embrasser ; Konrad Loder, lui, coupe et colle, moule et demoule. •HERVE LEGROS

Galerie Municipale Eduard Manet, Gennevilliers 1993

 
 
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